Mon psychiatre m'a conseillé d'extérioriser un peu mes impressions à travers un journal, dans l'optique où il m'intimide, ou que je soit simplement mal à l'aise avec lui... Mais je suis béat face aux pages, le stylo suspendu au-dessus d'elles, supérieur, mais pourtant impuissant s'il ne les traverse pas d'encre. J'écris, pourtant les pages sont vides. Elles retranscrissent ma pauvreté d'esprit, ma "videsse" d'âme. Je ne sais quoi dire, et je ne pense pas me résoudre à y marquer quoi que ce soit de plus...

On naît tous un jour. On a tous une mère, un père. Un berceau, et cette éternelle Sophie la girafe. Ce jouet en plastique qui couine de manière agaçante, et qui plus tard, bien qu'il vous fasse sourire avec nostalgie, un jour pressé fortement dans les mains d'un nourrisson, vous donne simplement le souhait de le balancer par-dessus la fenêtre. On a tous eu ce livre, avec un poisson en couverture, et des écailles multicolores. On a tous eu la même chose, chez moi. Tous ceux de mon quartier du moins, quand je dis "tous". Je sais pertinemment que des milliers, voir des millions d'enfants crèvent la dalle, sont illettrés, maltraités, violés, utilisés, sous-payés. Je sais.
On a tous une famille. La mienne n'est pas celle qu'on pourrait croire. Elle n'est pas biologique : je me suis retrouvé dans un lieu "spécialisé". Ma "famille" sont les psychiatres qui font le tour régulièrement, les infirmières mielleusement hypocrites, les profs las ou mes autres "camarades".
Je suis un maniaque. J'aime que tout soit propre. J'ai peur de la saleté qui peut me souiller. Ma famille ne vivait plus, tant je l'étais. Et moi non plus. Je pouvais jusqu'à me faire saigner, tant je frottais. Je ne suis pas bien dans ma tête, qu'on dit. Ils ont surement raison. Du coup, pour qu'au moins certains d'entre nous soient bien, me voici ici. Dans cet hôpital. Et je ne vis toujours pas bien. Pourquoi m'ont-ils menti alors?! Ils m'avaient promis que tout irait bien!
Je suis désemparé, attristé. Je suis trahi par mon sang, par le premier amour de ma vie : ma famille. Maintenant je suis seul, entouré de gens que je ne comprends pas, que je n'aime pas!... Je veux partir loin de tout... Loin de tout...
J'avais promis de ne plus toucher à ce carnet, mais voilà. Nous sommes tous ensemble autour du sapin, avec des cadeaux futiles, mais pas chers. Nous sommes entourés de ces hommes, qui nous aident, mais seulement pour l'argent. Ils sont tous en blancs, avec un bonnet du père Noël sur le crâne. Laids. Stupides. Hypocrites.
J'écris, car j'ai passé mon premier Noël sans ma famille, qui m'aimait, me gâtait, me chérissait en tant qu'enfant, en tant que fils. C'était ma famille, pourtant ils m'ont trahi et abandonné ici. Maintenant je suis dans cet hôpital froid et impersonnel, et j'ai le droit à une chambre stérile. Le grand luxe nan? Peut-être aurais-je du faire des efforts, ça la solitude me tue. Mon psy est là, mais il ne la comble pas. Un homme qui débite toutes mes paroles par écrit, qui se contente de "Hunhun, et puis? ...", on pense que ça aide? Eh bah nan. Devoir parler de ce qui nous gêne, qu'on oserait dire à personne, à ce type-là, c'est bien la dernière chose à faire. Alors j'espère parler à mes parents, qui passeraient me voir. Je note quelques faits à leur raconter, puis dès qu'on vient m'annoncer qu'ils sont là, j'y court comme un enfant qui attend un petit chiot, surexcité et heureux. Je leur raconte les moindres détails. mais ils me regardent étrangement. Et je vois bien que je ne suis plus leur fils.
Le jour de Noël, je les ai attendu longtemps. Et ils ne sont jamais venu. J'ai reçu un message de leur part : "Désolé mon chéri, nous n'avons pas le temps de passer te voir à cause des fêtes...". Désolé, mon cul. Mon chéri, mon cul. N'avons pas le temps, mon cul. Les fêtes, mon cul. Et c'est là que j'ai compris.

Non, il n'y a pas eu le bug de l'an 2000. Oui, je suis toujours aussi seul. Aujourd'hui, mes parents sont passés. Ils avaient probablement beaucoup d'excuses venimeuses et de mots doucereux pourris pour moi. Je suis venu. Et je leur ai simplement demandé de ne plus venir me voir. Puis je suis reparti. Il y a nombreuses activités à faire. Moi je joue à des jeux vidéos, et quand la salle est fermée, je lis. Des livres sur le codage, et tout ce qui peut toucher à l'informatique de manière plus générale. C'est passionnant, je m'y plonge plusieurs heures, plusieurs nuits. J'ai commencé à coder quelques trucs par-ci par-là... J'ai réussi à faire quelques applications sur la console, et ça marche plutôt bien. J'en suis fier d'ailleurs. J'ai un projet en cours, et j'espère juste que cela marche comme tout les autres. Je fais ça sur mon compte, et les machines ne sont pas forcément faîtes pour ça, donc c'est compliqué mais bon...

15 Février 2000

J'ai oublié de parler d'un autre truc hier... Une fille, que je ne connais pas, est venue me déclarer sa flamme. Sur le moment, je n'ai pas compris pourquoi, à ce moment-là. Puis ça m'est revenu. La St Valentin... C'est mignon... J'étais surpris. Elle était plutôt jolie, et je m'étais toujours contenté de l'apercevoir au loin. Je ne pensais pas plaire à quelqu'un un jour. Je n'y avais jamais pensé, surtout parce que l'idée d'être en couple ne m'avait jamais effleuré l'esprit. Elle avait l'air intégrée, et je ne savais, ni ne sait, pourquoi elle a sa place ici. Le contraire de moi, qui suis associable, et cloîtré dans ma chambre ou sur l'ordinateur à coder. Mon projet me prend plus de temps que je ne l'avais vu. Le temps a été long. Et après longue hésitation, en regardant ses frêles jambes s'entrechoquer entre elles tant la peur la consumait jusqu'à l'os, je lui dis avec un sourire, et diplomatie : "Désolé, mais je ne partage pas tes sentiments." Puis je suis parti. A chaque fois que je la croise, je sens son regard su moi, et ses yeux bleus défaillent à chaque fois.

J'ai rencontré un type passionné de mécanique. Histoire bien trop longue à raconter. Mais nous en sommes arrivés à faire un marché. Si j'arrive à faire un jeu, lui fera une machine qui le lira. je trouve l'idée sympa, mais insurmontable. Ca m'a amusé, et je n'ai pas refusé.

Aujourd'hui, tout est prêt. Tout est finit. Nous avons conclu notre marché, et moi génie d'informatique, et lui génie de mécanique, avons réussi à faire une console de jeu, ainsi que le jeu qui va avec. Le temps m'a pris, tout comme lui, mais nous avons réussi, jamais pris par l'école, par les filles ou autre, nous avons toujours tout consacré à ce projet. Et je peux dire que ce gars-là est mon ami, après tout ce que nous avons vécu le long d'une année presque complète. Je suis content de l'avoir rencontré à la cafét'. Parce que c'est plus que de la collaboration, bien plus. C'est une amitié forte entre lui et moi. Nous avons tout deux commencé à faire quelques plans. On compte partir loin. Monter notre entreprise de jeux vidéos, un peu comme à la Nintendo. On est que deux, mais on peut le faire. Naïfs et jeunes comme on est, on ne reculera pas tant qu'on ne sera pas jeté dans notre propre sang. Ou peut-être avant quand même...
Nous avons demandé chacun l'émancipation, comme ça nous n'aurons plus de raison de rester ici. Ce sont des tocs mineurs, qui ne peuvent nuire à personne dans la vie courante, donc partir d'ici ne sera pas un problème... Les informations parlent d'une ville qui est victime d'une expansion et d'une renommée phénoménale, alors qu'elle a été bâtie il y a peu. C'est là-bas que nous pourrions aller, pour tout recommencer. Tout est neuf là-bas, il faut prendre l'opportunité de se faire une place dans ce genre de business, et c'est à Sunshine qu'il faut la saisir... J'en ai déjà parlé avec lui, et il est d'accord. Je suis tout excité à l'idée de mener ma vie à l'extérieur, tel que je l'entends!

J'ai retrouvé ce vieux carnet... Et tout ce qui y est écris m'est nostalgique. Après beaucoup d'efforts, on a monté notre boîte, et on a marché. On vend la Threnody, et les jeux qui vont avec. La console marche tellement bien! Grâce aux avancées technologiques, on redouble d'ingéniosité et de créativité. Mais notre première console a une place immense dans mon coeur, tout comme dans le sien... Notre duo marche toujours autant. Nous faisons partie d'une "élite" et nous faisons certainement partis des plus riches de la ville... Avec nos millions de bénéfices, nous ne manquons de rien. Je suis respecté malgré ce que je suis, et j'ai même eu droit à des visites de mon "aimable" famille qui vient me faire la lèche. Mais ça ne marchera pas avec moi. Plus jamais.

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