J'ai toujours senti que j'étais une enfant particulière. Je pouvais l'entendre. Je pouvais entendre la voix des autres mais pas la mienne. J'étais incapable de dire quoique ce soit. Pourtant j'essayais vraiment de le faire ... en vain. J'ignore le nombre de fois où j'ai tenté de parler. J'ai fini par ne plus les compter. Au fond de mon coeur, je ne comprenais pas ce phénomène et j'ai longtemps pleuré sans que l'on entende ma voix. Personne n'était en mesure de percevoir le moindre son venant de moi. Cependant, à force de vivre dans un mutisme permanent, l'habitude de ne pas être entendue est devenu un fardeau que j'ai appris à porter.

Je l'ai appris grâce à ma mère. Maman est mannequin et styliste. Elle me répétait souvent qu'il y avait d'autres manières de s'exprimer que la parole. Elle connaissait le langage des signes et me l'apprenait mais elle m'enseignait surtout son goût prononcé pour la mode. Maman pensait que s'il m'était impossible de parler alors je devais m'affirmer autrement. C'est surement ce qui explique qu'elle m'ait toujours acheté plein de vêtements ! Ma mère me pomponnait comme une poupée. Plus que n'importe quel jouet, j'aimais qu'elle m'offre des habits plus beaux les uns que les autres. Et cet amour de la mode ne m'a pas quitté depuis ! Quand j'étais petite, je m'amusais déjà à jouer les starlettes dans ma chambre.

Je n'allais pas à l'école à cause de mon handicap et j'apprenais à la maison avec mon père. Je ne connaissais rien de l'école ou des salles de classe. Et parce que je ne savais pas ce que c'était, je suppose que ça ne m'a jamais intéressé. J'ai vécu loin de l'ambiance scolaire que les enfants de mon âge pouvaient connaître. J'habitais dans une grande maison de campagne pas très loin de Sunshine. Je me souviens que j'adorais me balader dehors dans les vergers ! Mais le temps a passé et ces vergers sont devenus tout autre. L'extension de la ville s'était faite jusque chez moi. Donc on peut dire que j'ai toujours habité à Sunshine.

Le jour de mes dix ans, maman avait décidé de me faire une surprise pour mon anniversaire. Elle refusait de me donner le moindre indice et le jour-J venu, elle me couvrit les yeux et me conduisit dans un endroit inconnu. Elle m'emmena dans un studio photographique ! Au départ, je pensais que c'était pour assister à une séance mais en fait, cette séance m'était réservée. C'était le plus beau cadeau que ma mère n'ait jamais pu me faire ! Ce fut la première fois de ma vie que je posais devant un objectif de professionnel. À l'issue de cela, quelques uns de mes clichés ont été publiés dans une revue pour une marque de vêtement dans laquelle travaillait maman. Après ça, on m'a dit que je pouvais revenir.

Je ne dirais pas que j'étais une enfant star comme on en voyait à la télévision mais je ne faisais pas non plus ce que tous les autres de mon âge pouvaient accomplir. Maman me disait que j'avais ça dans le sang. Elle répétait que j'étais faite pour devenir mannequin comme elle. Pour me charrier, mon père, lui, affirmait que si je continuais comme ça, je deviendrai la starlette de Sunshine. Je suppose que c'est la raison qui explique qu'il n'ait jamais voulu déménager. Moi je voyais le mannequinage comme une opportunité de battre mon handicap.