Journal de bord
W. Caïn Grant

Vous pouvez trouver ça idiot de faire un journal de bord, à ne pas confondre avec un journal intime. Ici je ne fais pas que noter ce que je ressens, mes pensées secrètes ou je ne sais quoi. Non. Je raconte qui je suis, ou d'autres le font à ma place. Ce journal me permet de me souvenir, quand j'en ai besoin, qui je suis et d'où je viens.

Un enfant abandonné dans un café.

Si c'est pas ironique ça. Avoir des parents qui commencent par vous appeler "Wolf" et qui ose par la suite vous abandonner dans un café comme un chien qu'on attache à un réverbère. Ben je vous assure qu'il n'y a rien de drôle là dedans. Que vous fassiez des enfants ou preniez des animaux... Assumez-le !
Je dois avouer que cette période de ma vie est plus ou moins floue. Elle est même complètement floue. Je ne me souviens pas de grand chose avant ma vie au foyer. Ma date de naissance ? ... Mon nom de famille ? ... Dans quelle ville j'ai vécu ? ... La seule chose dont je soit certain c'est ce prénom que je n'aime pas et que j'ai essayé d'abandonner - ben ouais, c'est pas un nom qu'on donne à un môme - sans y parvenir. J'ai juste réussit à avoir un nom un peu moins ridicule que ce "Wolf" ! Caïn, je trouve que ça sonne bien. D'ailleurs, quand je rencontre quelqu'un, j'ai tendance à me présenter sous ce nom là. Il est sur ma carte d'identité, hein ! Et maintenant, il doit y avoir une ou deux personnes qui m'appelle Wolf...

Bref, tout ça pour dire que se retrouver seul, sans repères ni quoi que ce soit, ça a de quoi vous secouer n'importe qui. Alors je vous laisse imaginer ce que ça peut faire à un gosse de 5 ans... Ça le rend méfiant, sauvage et solitaire. Il s'accroche à des choses sans importance comme un panda en peluche, une coupure de journal, un t-shirt... Par contre, il met un point d'honneur à ne s'attacher à personne. Qui dit s'attacher dit risquer de souffrir. Et c'est ce qui s'est passé pour moi. Je restais dans mon coin à regarder les autres jouer ensembles. Rire ensemble. Comment pouvaient-ils être aussi heureux alors qu'en réalité ils étaient seuls au monde. Ne s'en rendaient-ils pas compte ? Peut-être était-ce moi qui en était trop conscient...
Toujours est-il que j'ai continué à me tenir éloigné des autres jusqu'à ce jour où je l'ai rencontré. Des cheveux noirs, des yeux de chat et un sourire qui promettait bien des conneries. William Lane venait de faire son entrée dans ma vie.

Sans que je ne m'en rende compte il avait commencé à m'imposer sa présence. Je ne fuyais pas quand il s'installait à ma table pour déjeuner. Je ne m'échappais pas quand il venait rêvasser sur le même banc que moi. Et très vite je commençais à le chercher du regard quand il n'était pas près de moi. Puis vinrent toutes les fois où je me fois me réfugiais auprès de lui quand on m'embêtait. De deux ans mon aîné, il est devenu mon repère, indispensable à ma survie, je le suivais comme un bébé canard. Nous sommes devenus tellement inséparables que le foyer ne pouvait nous placer : à peine arrivé dans une famille d'accueil, nous faisions des pieds et des mains pour retourner au foyer et être de nouveau réunis.

Le temps à passé. Nous avons grandit dans ce foyer. A seize ans, trop vieux pour y rester, Will fut envoyer en internat et j'ai suivit deux années plus tard. C'est là bas que m'est venu l'envie d'être écrivain. Un concours d'écriture a eu lieu. Will trouvant que j'avais un certain talent avec les mots - développé au foyer en inventant des histoires pour les plus petits - déposa une inscription en mon nom et, une fois fait, il était trop tard pour faire marche arrière. A ma grande surprise, j'ai obtenu le premier prix avec coup de cœur du jury. En parlant de cœur, j'ai bien cru que le mien allait s'arrêter !

Vint la fin du lycée pour Will et celui-ci décida de quitter la ville où nous avions grandit. Il avait décidé de changer d'air et s'était donné pour but de d'ouvrir son propre magasin de musique. Quand il est parti, nous nous sommes juré de nous retrouver à la fin de mes études. Un serment de gamins. Un pacte de sang après une soirée un peu arrosé. Une promesse pleine d'espoir.

J'ai fini le lycée. Fais une fac de lettres et, une fois mon diplôme en poche, je suis monté dans ma voiture et filé à Sunshine, ville de toutes les promesses. Celle de notre promesse. Aujourd'hui nous partageons un petit appartement juste au dessus de son magasin. Je vis de petits boulots fait à droite à gauche histoire de payer ma part du loyer et des courses. Je n'ai publié que quelques petites nouvelles qui ne me permettent pas de subvenir à mes besoins, mais je ne désespère pas.